C’est un des mythes les plus tenaces par rapport aux prix des billets d’avions: plusieurs croient (à tort) que le prix pour un vol plus court devrait être moindre que pour un vol plus long. Et pourtant, ça n’a rien à voir.
En effet, simplement en regardant notre page d’aubaines de vols, vous remarquerez que les prix sont en ordre croissant (à moins que vous utilisiez le filtre par région). Et pourtant, les villes ne sont pas en ordre de distance nécessairement.
C’est parce que le prix des billets d’avion n’a absolument rien à voir avec la distance parcourue, strictement rien.
Je voulais vous expliquer le tout pour briser ce mythe une bonne fois pour toutes, suite à la lecture hier d’un article Radio-Canada sur les vols régionaux.
Le maire de Gaspé a dit: «un vol Gaspé-Québec c’est plus cher que Gaspé-Cuba, ça n’a aucun sens».
En fait, ça a entièrement du sens.
Le prix des vols est uniquement fixé en fonction de comment les gens d’un marché A sont prêts à payer pour aller dans un marché B. C’est tout. Donc, voici pourquoi ça a du sens, en détail.
Oui, ils sont chers les vols régionaux
Première chose à mentionner: mon point n’est pas que c’est erroné de dire que les vols régionaux sont chers. En effet, ils sont excessivement chers.
Vous le savez si vous suivez ce blog, je suis le plus ardent fanatique des prix de billets d’avion le plus bas possible (et les bottines suivent les babines, je voyage souvent avec des compagnies aériennes ultra low-cost, plus de 50 vols en fait dans les dernières années).
Donc pour être clair, je ne dis donc pas qu’ils n’ont pas raison sur le fait que c’est cher ou sur le fait que le quasi-monopole d’Air Canada est extrêmement nuisible pour les prix dans leurs aéroports. Je dis simplement que ça a du sens que le prix des vols n’aie rien à voir avec la distance.
Car même si c’est vrai que c’est cher, ça ne change rien au fait que c’est normal que Gaspé-Québec soit plus cher que Gaspé-Cuba ou que certaines liaisons courtes soient plus chères que des longues en général.
Le prix des billets d’avion n’est pas fixé en fonction de la distance. Ni ici, ni ailleurs.
Et ce n’est même pas un phénomène propre au Québec, ni même un phénomène propre aux petits aéroports régionaux. C’est partout.
Cela dit, oui c’est pire ici, pour toutes les raisons que j’ai déjà énumérées en détail dans mon article «pourquoi les billets d’avion sont aussi chers au Canada» qui vous explique pourquoi on est 65ième sur 80 pays pour le prix… mais comme je dis, ça amplifie le phénomène, mais ce n’est pas la cause de ce cas particulier de vols vendus avec des prix qui n’ont pas rapport avec la distance.
Car même aux États-Unis, où il y a fréquemment des vols à 50$ aller-retour, la même chose est vraie: ça a du sens que le prix soit plus cher pour certaines destinations que pour d’autres, indépendamment de la distance.
Comment fonctionne les prix des billets d’avion
La fixation des prix des billets d’avions, c’est un des mécanismes les plus complexes, toutes industries confondues.
Sans surprise, à la base, le prix des billets d’avion est purement un résultat de l’offre et de la demande. Mais encore plus que d’autres services même.
Le prix d’un billet est uniquement établi en fonction de combien d’argent les gens d’un marché A sont prêts à payer pour aller à un marché B. C’est tout.
Beaucoup de voyageurs d’affaires prennent les vols régionaux, car leur temps vaut plus cher qu’un voyageur qui est en vacances, et les compagnies ont des budgets plus élevés que les particuliers.
Vers Cuba, inutile de dire que c’est une clientèle plus loisir que affaires. Vers Cuba, bien c’est plus limité le budget, si le vol à lui seul était 1000$, pas grand monde irait remplir leurs resorts tout-inclus…
Mais même au sens plus général, certaines liaisons sont plus chères, même si ça ne semble pas logique à première vue, mais c’est rationnel. Le prix est uniquement établi en fonction de comment les gens d’une ville sont prêts à payer pour aller dans une autre.
Voici quatre brefs exemples pour illustrer.
Premier exemple: Je viens de le vivre il y a un mois. Je cherchais un vol San Juan – Chicago. L’itinéraire San Juan-Chicago était 300$ (aller-simple). Le même jour, sur la même compagnie aérienne, le vol San Juan-Chicago-Indianapolis était 200$. Et vous comprendrez que entre San Juan et Chicago, sur les deux billets, c’est exactement le même vol. Est-ce que ça a du sens?
Oui, les gens sont prêts à payer plus pour aller à Chicago. C’est une métropole majeure et donc le prix est plus cher. Le prix n’a jamais rien à voir avec la distance, ni le nombre de vols.
C’est d’ailleurs pourquoi je vous disait avant-hier que vous ne pouvez pas simplement laisser tomber une partie de votre itinéraire de vol. C’est interdit, parce que ce vous achetez, ce n’est pas un vol San Juan – Chicago et un vol Chicago – Indianapolis. Vous achetez le service de vous rendre de San Juan à Indianapolis.
Deuxième exemple: J’en avais déjà fait un article complet: souvent prendre Air Canada à partir des États-Unis, faire une correspondance au Canada et ensuite aller en Europe ou en Asie… c’est moins cher que ce que payent les Canadiens qui partent du Canada. Même si ils sont sur exactement le même vol vers l’Asie ou l’Europe que les Américains, sans le vol additionnel entre le Canada et les États-Unis. Est-ce que ça a du sens?
Oui, les gens au Canada sont prêts à payer plus, et c’est le seul mécanisme de fixation du prix. Qui aux États-Unis prendrait Air Canada si c’était aussi cher qu’ici? Personne. Donc ils baissent le prix là-bas, même si c’est certain que ça leur coûte plus cher en termes de coûts, car il y a un vol de plus. La distance n’a rien à voir, le nombre de vols n’a rien à voir. Le prix, c’est le coût du service de se rendre d’un marché A à un marché B.
Troisième exemple: Air Canada chargeait environ 400$ aller-retour pour les vols Montréal-Québec jusqu’à cette année. Jusqu’à ce que WestJet annonce qu’ils lanceraient pour la première fois des vols Montréal-Québec eux aussi. Soudainement, comme par magie les vols d’Air Canada sont maintenant à moins de 200$ aller-retour assez régulièrement, ce qui n’est à peu près jamais arrivé avant. Est-ce que ça a du sens?
Oui, car il y avait maintenant de la compétition. Est-ce que magiquement le vol Montréal-Québec est devenu moins long? Est-ce que leurs coûts ont baissé du jour au lendemain? Bien sûr que non. C’est qu’avec l’arrivée de WestJet et ses vols à 200$ aller-retours, plus personne ne serait prêt à payer le prix de 400$ pour l’aller-retour, donc ils ont baissé leurs prix. Le prix n’a rien à voir avec la distance ou quoi que ce soit d’autre: les gens du marché A étaient soudainement prêts à payer moins pour aller au marché B, donc les prix ont baissé.
Quatrième exemple: Un de nos lecteurs nous a écrit hier pour nous dire que les vols Ottawa-Detroit-Las Vegas sont systématiquement moins chers que Ottawa-Detroit tout court. Est-ce que ça a du sens?
Oui, car Las Vegas est bien plus populaire que Detroit, c’est tout. Même si Las Vegas est deux fois plus loin, il y a plus de demande, plus de compétition, moins de voyageurs d’affaires. La distance n’a rien à voir.
D’ailleurs, très souvent, les vols les moins chers de Montréal vers les États-Unis sont les vols vers la Californie… littéralement le point le plus loin du continent. C’est pourtant moins cher que toutes les autres villes que vous survolerez, ou presque. Parce que l’offre et la demande dicte que c’est moins cher, pas la distance.
On se comprend bien, évidemment que de façon générale, un vol vers l’Asie de 15 heures va être plus cher que les vols plus courts (quoique nos ventes fréquentes à 499$ aller-retour vers l’Asie sont moins chères que Gaspé-Québec encore là, et ce n’est pas une blague ?). Mais dans le prix précis final, la distance n’a pas rapport.
Et comme illustré, ça n’a même pas rapport avec la taille de l’aéroport, même si évidemment celle de Gaspé amplifie l’écart (tout comme les frais d’aéroports au Québec qui sont parmi les plus élevés au Canada, et au Canada c’est aussi plus élevé qu’aux États-Unis).
Comme je disais, ce n’est pas un phénomène propre aux petits aéroports régionaux, c’est un principe qui sous-tend tout le mécanisme de fixation des prix des billets d’avion et qui affecte même des gigantesques aéroports comme Chicago.
Alors, tout ça pour dire: oui ça fait du sens que certaines liaisons soient moins chères, même si elles sont plus loin. Car le prix n’a rien à voir avec la distance parcourue. C’est fixé en fonction de combien les gens sont prêts à payer pour la liaison.
Les sauveurs: les compagnies ultra low-cost
Évidemment, pour le cas particulier des petits aéroports de région, le fait qu’Air Canada aie un quasi-monopole, ça fait augmenter le prix, et oui c’est le facteur numéro un.
La bonne nouvelle, c’est que les compagnies ultra low-cost (ULCC) arrivent enfin au Canada (Swoop et Canada Jetlines). C’est la meilleure chose à être arrivée à l’industrie de l’aviation, car eux, leurs prix sont toujours bas, car leur stratégie est d’avoir des avions efficaces et surtout toujours pleins. Leur modèle d’affaires a comme prémisse de justement stimuler une nouvelle demande pour du transport aérien, en augmentant le nombre de voyageurs.
Comment? En visant les gens qui ne prennent pas l’avion parce que c’est trop cher. C’est ça la beauté des ULCC.
Alors, les aéroports plus petits veulent faire baisser les prix, je comprends, mais je ne comprends pas leur message. Le premier paragraphe de l’article dit (le caractère gras c’est moi qui a ajouté):
«Une quinzaine de maires réclament une baisse des prix pour les vols entre les grands centres et les aéroports régionaux du Québec.»
Ils réclament à qui? Il y a un quasi-monopole, réclamer ne donnera pas grand chose. Air Canada ne baissera certainement pas ses prix pour le plaisir. Ils sont en affaires, ça fait du sens de charger le prix le plus élevé qu’ils peuvent obtenir.
Il n’y a pas une tonne de solutions pour les petits aéroports. Il y a deux compagnies ultra low-cost qui seront lancées en 2018 au Canada. C’est leur modèle d’affaires d’avoir des structures de coûts plus basses qui permettent des tarifs plus bas. Les petits aéroports ont tout avantage à faire comme en Europe et aux États-Unis et tenter d’attirer ces compagnies-là avec des frais d’utilisation d’aéroport le plus bas possible.
Ce que les petits aéroports doivent faire donc, c’est de revoir leur propres structure et viser à réduire leurs propres frais d’exploitation pour être attrayants pour les compagnies ULCC. Parce que dans des petits marchés avec des petits volumes de passagers, c’est la seule solution. Aucune autre compagnie va aller desservir des minuscules marchés à moins de pouvoir le faire à très faible coût pour leur propre compagnie, et c’est normal.
Mais bien des aéroports sont dans des marchés simplement trop petits, qui seront évidemment toujours plus chers. Leur seule solution, c’est de réclamer des changements majeurs concrets, plutôt que de réclamer une baisse des prix: ils auraient tout intérêt à réclamer que le gouvernement revoie le modèle qui fait en sorte que le coût des billets d’avion ici au Canada sont plus élevés que presque partout ailleurs.
Sommaire
Oui les vols régionaux sont très chers au Québec, c’est un fait. Mais c’est également un fait que la distance parcourue n’a rien à voir avec le prix des billets d’avion et c’est donc faux de dire que ça n’a pas de sens que certains vols plus courts soient plus chers que des plus longs vols.
Le prix des billets d’avion, c’est fixé en fonction de combien les gens d’un marché A sont prêts à payer pour aller dans un marché B. C’est tout.
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